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L’interminable régression illibérale de la Tunisie

La régression illibérale semble interminable en Tunisie, vertigineuse rechute dans l’autocratie pulvérisant les acquis de sa transition démocratique post-2011. Le scrutin présidentiel prévu dimanche 6 octobre marque une nouvelle étape dans la fuite en avant du président, Kaïs Saïed, candidat à sa réélection, vers la consolidation d’un pouvoir personnel ne s’embarrassant même plus des formes.
Tout juriste qu’il est, l’ancien enseignant de droit constitutionnel dispose de la Constitution et des lois au gré de ses caprices, dépeçant tout corpus juridique qui entrave son aspiration au monopole. En témoigne la modification de dernière minute de la loi électorale visant à dépouiller la justice administrative, fragile havre de résistance, de ses compétences en matière de contentieux issus des urnes.
Fallait-il que Kaïs Saïed sente le vent tourner pour recourir ainsi à ce nouveau coup de force juridique ? Fallait-il qu’il s’inquiète d’un possible revers de fortune électoral, lui dont la popularité due à son populisme anti-élites et souverainiste avait été jusque-là résiliente, pour imposer l’élimination de ses concurrents les plus sérieux sous de fallacieux prétextes ? Le résultat est que ce scrutin du 6 octobre présente de fâcheux airs de mascarade, M. Saïed n’ayant en face de lui que deux candidats dont l’un vient d’être condamné à… douze ans de prison pour « falsification de parrainages ».
Triste spectacle que celui offert par la Tunisie de Kaïs Saïed, où la scène politique n’est plus qu’un champ de ruines. Près de 170 militants de l’opposition ou citoyens critiques sont en prison, selon le décompte de Human Rights Watch, les médias sont muselés et les associations ligotées. Adepte du complotisme le plus baroque, M. Saïed justifie cette escalade répressive par la traque de prétendues conspirations ourdies de l’étranger. La frange de la classe politique et de la société civile qui avait été initialement séduite par son projet atypique, où la rectitude morale se mêlait à la compassion sociale et à l’hostilité à l’islam politique, mesure aujourd’hui son égarement.
Personne n’avait vraiment pris au sérieux ses vieilles positions hostiles à la démocratie représentative et aux corps intermédiaires. Aveuglée par son rejet des errements de la transition post-2011 – corruption, insécurité et recul socio-économique –, une majorité de la société tunisienne s’était donnée à ce sauveur providentiel mué en autocrate. Quelle que soit sa longévité au pouvoir, M. Saïed a déjà infligé à la personnalité politique tunisienne, celle qui enfanta l’espérance des « printemps arabes », des lésions profondes.
Pour ajouter à l’infortune des Tunisiens, la France et l’Europe assistent, passives, au périlleux aventurisme de M. Saïed. L’embarras susurré mezza voce par les diplomates européens ne pèse pas lourd face à la realpolitik édictée de Bruxelles. Or celle-ci se satisfait de la collaboration de M. Saïed dans l’endiguement des flux migratoires vers l’Italie. La présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, l’a même érigée en modèle de l’externalisation des contrôles aux frontières de l’Union européenne. A cela s’ajoute la crainte que toute offense faite à M. Saïed le pousse à approfondir le flirt déjà esquissé avec la Russie, la Chine et l’Iran. Face à ce silence de l’Europe, les démocrates tunisiens ne pourront guère compter que sur eux-mêmes.
Le Monde

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