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L’image montre un homme captivé par son téléphone. Dans son regard, un message s’affiche : « Fake news », pour « fausses informations ». Volontairement inquiétante, l’affiche fait partie de la campagne de lutte contre la désinformation Stop aux sorciers numériques lancée en juin par le gouvernement. Placardée sur les routes et relayée sur les réseaux sociaux, elle montre que les autorités de Côte d’Ivoire prennent très au sérieux ce risque à l’approche de l’élection présidentielle, prévue fin octobre 2025.
Le programme gouvernemental En ligne tous responsables, destiné à endiguer la diffusion d’informations tronquées ou inventées, est parti d’un constat : « Les gens s’informent avant tout via les réseaux sociaux et le bouche à oreille », indique Evelyne Kodjo, directrice en charge des nouveaux médias au ministère de la communication. Jeunes (78 % de la population a moins de 35 ans) et ultraconnectés, « les Ivoiriens ont tendance à partager ce qu’ils voient avant de le vérifier », affirme-t-elle.
Pour aider à distinguer le vrai du faux, les campagnes de sensibilisation menées par la police de la lutte contre la cybercriminalité ivoirienne (PLCC) se multiplient depuis la rentrée scolaire dans les collèges, lycées et universités du pays. Le soutien technique et financier apporté par les Etats-Unis, avec qui la Côte d’Ivoire a signé en avril un accord pour lutter contre les fake news, a permis à plus de 7 500 personnes d’être informées sur « les dangers du cyberespace », se félicitent les autorités.
En février, Abidjan était accusé par un internaute anonyme burkinabé de préparer un plan d’agression contre le Burkina Faso. Une fausse information partagée plus de mille fois sur Facebook. Fin mai, une fausse circulaire de l’ambassade d’Ukraine en Côte d’Ivoire faisait état d’une campagne de recrutement de jeunes Ivoiriens pour combattre l’armée russe. Plus récemment, en septembre, le président Emmanuel Macron était soupçonné de contraindre son homologue ivoirien Alassane Ouattara à légiférer en faveur des droits des homosexuels.
Ces tentatives de manipulation tendent à s’intensifier avec le recours à l’intelligence artificielle et aux images fabriquées. La démocratisation de leur usage « exacerbe la force de frappe de la manipulation de l’information », s’inquiète Clément Domingo, spécialiste indépendant en cybersécurité.
Les contre-vérités en ligne se fabriquent aussi vite qu’elles se propagent. Selon le groupe de réflexion américain Africa Center for Strategic Studies (ACSS), elles auraient « presque quadruplé » en deux ans sur l’ensemble du continent. En Afrique de l’Ouest, « 60 % [d’entre elles] seraient émises depuis l’étranger, notamment depuis la Russie, la Chine ou la Turquie », note Ladji Ouattara, enseignant chercheur sur les questions sécuritaires au Sahel.
Difficile d’imaginer un ralentissement du phénomène au moment où la Côte d’Ivoire s’apprête à rentrer dans une période préélectorale propice aux accusations fantaisistes et potentiellement déstabilisatrices. « La désinformation s’amplifie à mesure que les tensions sociopolitiques s’exacerbent », observe Yannick Anaky, spécialiste de la désinformation et membre de l’Observatoire ivoirien des droits de l’homme (OIDH).
Les polémiques qui agitent la scène politique ivoirienne, comme les modalités de révision de la liste électorale ou l’éligibilité de certains candidats, dont l’ancien président Laurent Gbagbo, sont des terreaux fertiles à l’intox.
Lors de la dernière élection présidentielle, en 2020, durant laquelle des violences avaient fait 85 morts et plus de 500 blessés, l’OIDH avait relevé près de 170 fausses informations en lien avec le processus électoral. Certains internautes affirmaient que des mercenaires étrangers étaient en route pour Abidjan, quand d’autres prétendaient avoir démasqué une militante pro-Ouattara « bourrer » les urnes.
Aujourd’hui, cette bataille de l’information s’inscrit dans un contexte sous-régional inflammable, avec des militaires au pouvoir au Burkina Faso et au Mali ouvertement prorusses et hostiles au gouvernement ivoirien, accusé d’être à la solde de l’Occident, notamment de la France.
Depuis, ces deux pays, et avec le soutien de la Russie, des narratifs visant à discréditer l’Etat ivoirien et à affaiblir son autorité se multiplient sur les réseaux sociaux. Le risque d’ingérence avant et pendant l’élection présidentielle de 2025 est donc réel. « Les choses vont s’intensifier, il faut s’attendre à des vagues de désinformation massives avant le scrutin », présage Yannick Anaky.
Un problème de taille doit encore être levé : la campagne En ligne tous responsables reste pour l’heure absente sur la messagerie WhatsApp et le réseau social TikTok, très fréquentés par les Ivoiriens. Les autorités promettent d’y remédier rapidement. Sur le plan réglementaire, la collaboration entre le gouvernement ivoirien et l’entreprise Meta (propriétaire de WhatsApp, Instagram et Facebook) n’est encore que ponctuelle.
« Les pays ouest-africains sont vraiment en retard sur la question de la régulation des contenus », déplore Ladji Ouattara. Contrairement à ce qui est fait en Europe depuis 2024, avec le règlement sur les services numériques (DSA) censé responsabiliser les géants du numérique, aucun accord n’existe pour l’heure en Afrique de l’Ouest.
Arnaud Deux (Abidjan, correspondance)
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